31 Mai 2013

Éléphants de mer océanographes : 10 ans de succès

Depuis 10 ans, plus de 200 éléphants de mer ont patrouillé les eaux australes avec une drôle de casquette sur la tête : une balise Argos munie de capteurs de température, salinité et pression. Ces données alimentent en temps quasi-direct le modèle d'océanographie opérationnelle Mercator. Elles permettent aussi d'en apprendre plus sur l'écologie de l'animal.

31 mai 2013

Le courant circumpolaire Antarctique

Coiffer des éléphants de mer d'une balise Argos est devenu une routine pour l'équipe du Centre d'études biologique de Chizé (CNRS) emmenée par Christophe Guinet. Pour les femelles, en tout cas. Pour les mâles - qui peuvent peser jusqu'à 2000 kg contre 300 kg en moyenne pour une femelle - , il reste toujours une part de « rodéo. » 15 individus de chaque sexe ont ainsi été équipés entre janvier et mars 2013 aux Iles Kerguelen, avant un départ en mer de 7 à 8 mois.

« Les mâles et les femelles recherchent leur proies - des poissons et des calmars - dans des zones différentes. Les femelles prospectent les zones océaniques, tandis que les mâles patrouillent plus dans le dédale de banquises-icebergs du continent Antarctique. On obtient ainsi des données complémentaires » explique Christophe Guinet.

Des données sur quoi ? Mais sur le courant le plus puissant au monde : le courant circumpolaire Antarctique ! Les balises sont en effet toutes munies de capteurs de température, salinité et pression. Certaines d’entre elles comportent aussi un capteur de fluorescence pour estimer les concentration en phytoplancton, ou un capteur d’oxygène dissout dans l'eau. Dès que l'animal sort la tête de l'eau pour respirer, l'antenne de sa coiffe envoie aux satellites les données enregistrées pendant ses plongées.

Entre écologie animale et océanographie spatiale

Concentrations en oxygène dissout dans l'eau receuillies par un éléphant de mer entre novembre et janvier 2011, lors de son voyage entre les Iles Kerguelen (à droite) et l'Antartique (à gauche). L'animal plongeait en moyenne à 500 m de profondeur, mais atteignait régulièrement des profondeurs de 800 m et une fois même 1050 m. Crédits : CNRS/CEBC.

Entre 2004 et 2011, 125 000 profils de température et 28 000 de salinités ont ainsi été collectés par 154 éléphants de mer et transmis en temps quasi-direct à Mercator, le modèle français européen de l'océanographie opérationnelle. Sur la même période, les méthodes classiques basées sur les navires océanographiques ont réalisés 10 fois moins de profils. Les profileurs dérivants Argo se révèlent eux inefficaces : ils restent coincés sous la surface de la banquise, se font broyer par les icebergs ou envoyer au loin par le courant circumpolaire. « Mais il nous a d'abord fallu tester la méthode, se souvient Christophe Guinet. Et cela a été possible grâce au programme Éléphants de mer océanographes soutenu par l'Agence nationale de la recherche, la Fondation Total et le CNES, et avec le soutien logistique de l’Institut polaire. »

Mais ce qui intéresse aujourd'hui l'écologue, c'est de comprendre la stratégie d'alimentation de ces grands phoques. « Nous regardons comment les éléphants de mer se déplacent par rapport aux zones de concentration de leurs proies mais aussi par rapport aux courants. Le tout à une échelle de l'ordre du km » explique-t-il. Et là encore, les satellites sont mis à contribution. Les images prises par le satellite Envisat jusqu'en 2012 et les satellites américains TERRA et AQUA permettent de déterminer la concentration en chlorophylle de l'Océan austral.

Et qui dit chlorophylle, dit phytoplancton, plancton, poissons et calmars dont se nourrissent les éléphants de mer ! « Aujourd'hui, il est même possible de discriminer sur ces photos satellitaires les groupes phytoplanctoniques, explique Christophe Guinet qui s'est associé à Séverine Alvain du laboratoire d'Océanologie et de géosciences de Lille pour ce travail. Pour les courants, les chercheurs utilisent les données des satellites altimétriques (Topex-Poseidon, Jason) et aussi celles du modèle Mercator. « Notre travail se situe à l’interface entre l’écologie animale et l’océanographie spatiale qui constitue un outil de travail extraordinaire pour décrire et comprendre le comportement de ces animaux dans l’océan le plus isolé de la planète. Nous vivons une époque véritablement passionnante » s'enthousiasme l'écologue.

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