3 Février 2016

Ravines martiennes, oubliez H2O, pensez CO2 !

Sur Mars, la plupart des ravines seraient creusées non par de l'eau liquide mais par du dioxyde de carbone. 3 questions à Cédric Pilorget, jeune chercheur propulsé par le CNES et co-auteur de cette théorie publiée le 21 décembre 2015 dans Nature Geoscience.
D'après vos travaux, les milliers de ravines photographiées par la sonde américaine Mars Reconnaissance Orbiter (MRO) seraient dues à l'action du CO2. Comment et pourquoi ?

Cette hypothèse n'est pas nouvelle. Elle est évoquée depuis 2010 par des chercheurs américains à la vue des images de MRO montrant l'apparition de nouveaux chenaux sur des dunes et pentes de cratères à la fin de l'hiver ou au début du printemps.

Nous avons créé un simulateur numérique de l’environnement martien

A cette période, la température est très froide, aux environs de -125°C comme le montre la présence de glace de CO2. Même une eau liquide fortement salée n'est pas stable à cette température. Alors comment expliquer les transformations observées ? Pour tenter de répondre à cette question, nous avons créé un simulateur numérique de l’environnement martien, du sous-sol à l’atmosphère, que nous avons fait tourner sur plusieurs années martiennes. Il montre que le cycle du CO2 pourrait expliquer les transformations observées ces dernières années et potentiellement la formation d’une grande partie des ravines présentes à la surface de Mars.

Faut-il imaginer des coulées liquides de dioxyde de carbone creusant le sol martien ?

Il s’agit plus précisément de coulées sèches mélangées à du gaz sous pression ! Le dioxyde de carbone représente 95 % de l’atmosphère de Mars. L'hiver, aux hautes latitudes ainsi que sur certaines pentes peu exposées de cratères et de dunes, il passe à l'état solide directement au niveau du sol. Ce ''givre carbonique'' n'est pas très épais, quelques dizaines de cm d'épaisseur environ, mais il peut être très transparent par endroit, comme de gros glaçons. Cela a notamment été montré par des mesures spectroscopiques de MRO et de la sonde européenne Mars Express

La glace carbonique craque et le gaz est éjecté violemment

A la fin de l'hiver, les rayons du soleil traversent cette couche de glace carbonique et réchauffent sa base. Le CO2 se sublime : il passe de l'état solide à l'état gazeux, mais se retrouve piégé. Il se mélange alors avec le sol : du sable ou de la poussière. Quand la pression est trop forte, la glace carbonique craque et le gaz est éjecté violemment. D’intenses mouvements de gaz ont lieu dans le sous-sol à la suite de cette éjection, ce qui peut déstabiliser les matériaux présents. Une avalanche de sable, de poussières et de gaz mêlés peut alors dévaler les pentes, créant de larges ravines.

Vos travaux remettent-ils en cause l'étude de la NASA publiée en septembre 2015 suggérant l'existence de coulées d'eau liquide fortement salée sur Mars aujourd'hui ? 

Attention, vous évoquez là 2 choses très différentes qui ne se passent ni au même endroit, ni au même moment, ni aux mêmes échelles. Les travaux de Luju Ojha et de ses collaborateurs concernent de fines coulées – les ''recurring slope lineae'' – qui  apparaissent l’été sur des pentes de cratères bien exposées aux rayons du soleil. Les ravines que nous étudions se creusent à la fin de l’hiver, à des températures très basses, et les modifications observées impliquent des dizaines voire des centaines de mètres cubes de matériaux au cours d’une saison !

Sur Mars, on est sur un monde complètement différent !

Ces différents processus, observés à l’heure actuelle à la surface de Mars, témoignent des multiples facettes de cette planète et du caractère parfois très exotique des mécanismes rencontrés. Sur Mars, on est sur un monde complètement différent !

Cédric Pilorget est actuellement post-doctorant financé par le CNES à l'Institut d'astrophysique spatiale d'Orsay. Crédits : Cédric Pilorget.

Ces dunes creusées de ravines sont partiellement recouvertes de glace carbonique ce qui leur donne un aspect brillant. Image du cratère de Russel prise par MRO. Crédits : NASA/JPL/University of Arizona.

Autre image de ravines prise par MRO. Crédits : NASA/JPL/University of Arizona.

Les fines traces noires à flanc de cratère seraient laissées tous les étés par des coulées de liquide aqueux très riche en sels. Crédits : NASA/JPL-Caltech/Univ. of Arizona

coulées, ravines, vallées : des morphologies et origines différentes

Attention, sur cette image, point de ravines mais des vallées de débâcle observées par la sonde européenne Mars Express. Ces vallées ont été creusées par de violents écoulements d'eau liquide et de débris il y a des milliards d'années. La surface de Mars exhibe des morphologies très différentes qu'il est essentiel de considérer dans leur contexte propre. Crédits image : ESA/DLR/FU Berlin. 

 Références de l'article

Formation of gullies on Mars by debris flows triggered by CO2 sublimation, Pilorget C., Forget F., Nature Geoscience (2015).

Contacts

Contacts scientifiques :

  • François Forget  forget at lmd.jussieu.fr
  • Cédric Pilorget cedric.pilorget at ias.u-psud.fr

 Responsable de la thématique système solaire : francis.rocard at cnes.fr

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