12 Juin 2019

Quand le chantier d’Ariane 6 révèle le passé lointain de la Guyane

Une baie tranquille, où les vagues viennent lécher des ilots de granite sous un soleil généreux. Non loin de là, une mangrove sépare la forêt du rivage. C’est là le paysage étonnant, vieux de dizaines de milliers d’années, que géologues et paléontologues ont pu reconstituer sous la surface du pas de tir d’Ariane 6.

Qui aurait imaginé que le chantier d’Ariane 6 allait permettre de tutoyer pour la première fois le passé préhistorique de la Guyane ?

Tout est parti de la découverte fortuite de bancs d’huîtres en 2015, à plusieurs mètres sous la surface pendant le creusement des carneaux d’ELA-4. Dans les déblais prélevés au fil des mois sur le chantier, ont ainsi pu être identifiés une grande diversité de coquilles d’escargots marins, de coquillages, des pinces de crabes, des piquants d’oursin, des vertèbres de poisson et même des dents de requin aiguille et une dent de petit caïman. Ce récif d’huîtres abritait donc une biodiversité étonnante !

Fouilles sur le chantier Ariane 6
Crédits : Arnauld Heuret – Université de Guyane

Après plusieurs opérations de prélèvement menées par Arnauld Heuret, géologue à l’Université de Guyane, avec le concours efficace du CNES et de l’Office de l’Eau et l’inestimable aide logistique d’Eiffage, une campagne de plus grande ampleur a été organisée entre le 8 et le 12 avril derniers. Des naturalistes guyanais et deux paléontologues de l’Institut des Sciences de l’Evolution de Montpellier et du Centre d’Etude sur la Biodiversité Amazonienne (CEBA) sont alors venus grossir les rangs de l’équipe. Grâce à des pelleteurs hors-pair, le niveau le plus propice a pu être identifié et c’est plus d’une tonne de sédiments qui sont en cours d’analyse après des prélèvements « chirurgicaux ».  Ces opérations se sont déroulées en parallèle de l’avancement du chantier de l’ELA4 et sans perturbation.

L’heure est désormais à l’analyse fine, pour plusieurs mois encore, puisque les paléontologues scrutent les échantillons cinq grammes par cinq grammes sous la loupe binoculaire. Si des charbons de palétuvier rouge ont d’ores et déjà été reconnus par une jeune spécialiste montpelliéraine, l’analyse des grains de pollen contenus dans le sédiment devraient bientôt permettre de mieux caractériser l’environnement végétal et son évolution sur des millénaires.

Une grande question reste toutefois posée : quel est l’âge du récif d’huîtres ? Pour cela, les huîtres elles-mêmes seront analysées pour datation radioisotopique, tout comme les charbons avec leur teneur en carbone 14. En utilisant la courbe de fluctuation des niveaux marins à l’échelle du globe sur le dernier million d’années, les chercheurs tablent pour l’instant sur un âge de l’ordre de 130 000 ans, soit bien avant que l’homme ne s’aventure en Amérique. Comme quoi, la paléontologie peut sans complexe croiser l’histoire spatiale de demain !

Fouilles sur le chantier Ariane 6
Crédits : Arnauld Heuret – Université de Guyane